La table de Denis NIDOS
Des légumes ? Et pourquoi pas des
fleurs ? Des femmes ? Pourquoi pas ne pas saisir le Périgord
si riche, si beau, si tendre au point de devenir un recueil de
cartes postales ?
Denis Nidos aime surprendre. Se surprendre et nous surprendre.
Il aime la vie en marge et au centre. En noir et blanc aussi.
Alors, saisir des légumes, leur donner une place émotionnelle
dans le panthéon de la vie, c'est rendre un hommage à
ces précieux légumes qui ne sont plus des Sans
Domicile Fixe de l'image et deviennent au fil des clichés
ce que Roland Barthes décrivait en ces quelques mots :
« se mettre à table est affaire de langage.»
Et Denis Nidos nous ouvre une table inédite, exceptionnelle,
joyeuse, interpellative, captivante, étrange. Tout
simplement sa table, en forme de photographies noir et blanc
sur l'Art de la vie de nos plantes potagères est magistrale.
Au sens étymologique il s'entend. Brillat-Savarin, le
célèbre gastronome, qui fit une éloge du
règne végétal dans certains de ses écrits
aurait été enchanté par ces visions photographiques.
Un végétal que la symbolique retient comme l'unité
fondamentale de la vie. De nombreux textes montrent le passage
du végétal à l'animal, à l'humain
et au divin. Inversement aussi. Fulbert-Dumonteil, autre prestigieux
critique gastronomique, disciple de Brillat-Savarin, dans un
de ses ouvrages n'écrit-il point ; «Faisant l'autre
soir un tour de jardin, j'entendis tout à coup des voix
singulières qui s'élevaient des plates-bandes.
C'était des légumes qui causaient. Assez surpris,
ma fois, j'écoutais leurs confidences intimes.»
La nourriture désirée par Denis Nidos, plaisir
de l'image, désir d'une
communion profonde avec ce monde mystérieux d'où
nous sommes issus, devient une mise en scène en forme
de cérémonie ethnographique. Une ethnographie des
sens, qui transcende la poésie de nos jardins, marchés
et tables, pour inviter à la poésie de la vie.
Serions-nous des légumes ? Ou ceux-ci seraient-ils humains
? J'entends Raymond Devos revisant son fameux sketch du chien
qui parle et de l'homme qui finit par ... aboyer. Le pire, c'est
que la table de Denis Nidos devient cruelle au point de donner
la vie à nos petits cucurbitacés et de prolonger
la réflexion d'un végétarien tel que Albert
Einstein qui disait : «le jour viendra où les hommes
proscriront le meurtre des animaux comme ils proscrivent le meurtre
de leur semblable.» Jean-François Revel, le philosophe,
souligne que «l'histoire de la gastronomie est une lutte
perpétuelle entre la tradition et l'invention.»
Nul doute que nos grands chefs de ce temps retrouvent dans le
talent de Denis Nidos, dans son regard, sa technique, son art,
une confirmation de son propos. On ne sait plus si la gastronomie
rejoint la photographie. L'inverse aussi. On voit bien que Denis
Nidos aime surprendre. Se surprendre et nous surprendre.
Pascal SERRE
Directeur du Journal du Périgord |
|