L'idée d'agrandir une photographie
de cette manière provient d'une discussion que j'avais
eue avec une amie. Cette amie traversait une période très
difficile, très déprimée, elle se retrouvait
à la limite de la psychose. Lorsqu'elle prenait le métro,
par exemple, elle se sentait observée par les voyageurs,
presque agressée.
Ce sentiment ne la quittait plus lorsqu'elle était dans
les transports en commun à tel point qu'elle décida
de ne plus les utiliser. Lors d'une discussion, elle me raconta
qu'elle avait la sensation de regarder les gens et les choses
de trop près, de si près qu'elle avait du mal à
les voir dans leur ensemble, si bien qu'ils s'en trouvaient comme
déformés. En l'occurence, elle ne
considérait plus les voyageurs comme de simples utilisateurs
des transports en commun mais comme des agresseurs potentiels.
Ses impressions furent pour moi une mise en exergue de ma propre
peur d'autrui. J'essayai de rendre compte de cette perception
par le biais de l'image. J'ai tout d'abord pensé faire
un simple gros plan mais le zoom photographique accentue le détail
et, comme dans les films pornographiques, le gros plan sur une
partie est censé représenter le tout. Or dans la
dépression mais plus encore dans la psychose, la partie
ne représente plus l'ensemble et le tout n'est pas inclus
dans la partie. Sans signifiant (la structure), le signifié
devient aléatoire, sujet à interprétation.
De plus il me fallait restituer la focalisation qui tend à
déformer le sujet d'Oli l'idée d'utiliser la photocopieuse
qui permet d'avoir un grain très important, une absence
de profondeur et une saturation des quelques couleurs présentes.
Le fait de reprendre en photocopies et de faire des agrandissements
me
permet là encore d'obtenir un rapprochement de la partie
sans pour autant rendre compte véritablement de l'ensemble.
Lorsque je présente une photographie en plusieurs parties,
on peut voir celle-ci dans sa représentation quasi initiale,
si l'on se tient à une certaine distance, bien évidemment.
Les espaces sont là pour faire fonctionner la structure
«Trente rayons se
rejoignent en un moyeu unique ; ce vide dans le char en permet
l'usage.» Lorsque l'on se rapproche d'une partie de ces
photographies, on entre dans ce que l'on pourrait appeler une
perception «phobique» car l'on perd la notion d'ensemble,
on entre dans la texture de l'image et il faut reprendre de la
distance, reconstituer du vide pour recoller les morceaux.
(l) Lao-Tli (chap.l l). François
Cheng. Vide et Plein, le langage piclural chinois. Seuil. Paris,
1991. p. 58
Laurent QUENEHEN |
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