« Aïssa ou de l'innocence »
Série d'épreuves lith sur papier lumière des années 1960, tirages uniques
Se mettre à nu. Voilà un enjeu difficile lorsque le photographe s'efface derrière un
modèle qu'il essaie de sublimer. Pourtant explorer la nudité de l'autre et y poser son regard, la
deviner à travers l'objectif, envisager des cadres, cacher, jouer sur la lumière, se contraindre
encore et toujours à l'argentique et à la magie de la latence c'est déjà révéler qui l'on est.
Cette série a été réalisée dans l'atelier de Jean Pierre Goudouneix alors que le peintre
préparais une séance de pose. Il s'agit d'un aller retour incessant entre cadrages personnels
et intertextualité avec ses toiles dont l'esthétique en diffère pourtant violemment. Jean Pierre
Goudouneix m'a reproché le grain trop dur, la chair trop marquée, l'ambiance trop sombre, ne
répondant pas à ses recherches graphiques d'idéal féminin. La présente série tend plus à
révéler la dualité, l'entre deux âge, l'Eros et le Thanatos.
Le tirage Iith s'est imposé d'emblée par la magie de ce procédé si particulier. Si
l'argentique est déjà un choix esthétique, le Iith devient un choix d'esthète. Comme le peintre il
faut en Iith devenir acteur de son tirage. Chaque décision (température, recette de
révélateurs, mouvement d'agitation du bac) influe sur le résultat final. Dès lors il n'y a plus de
possibilité de se cacher derrière une maîtrise technique solide car les paramètres évoluent en
cours de tirage. Le Iith impose d'accepter l'imprévu et l'accident et même de rechercher ceux
ci. Le tirage est exposé sur la feuille puis celle-ci est baignée dans le révélateur. Il faut alors
attendre longuement que le grain presque charbon envahisse progressivement la feuille.
Accepter que l'image émerger, belle et parfois troublante. La beauté diaphane et voluptueuse
d'Aïssa est progressivement rongée de grains noirs, durs et cruels.
C'est au seuil de cette attente parfois insoutenable, d'heures entières à regarder les
images se former à l'ombre de la lumière rouge, qu'il faut s'imposer d'arrêter la réaction
chimique pour tendre alors vers ce que l'oeil avait vu, ce que le coeur avait su et ce que la tête
avait voulu.
Les photos présentées ici sont autant le résultat d'un procédé
chimique que d'une humeur, d'une attente et d'un relâchement m'ayant
permis d'explorer de nouvelles contrées photographiques avec le corps
d'une femme pour seule partition.
Florent Pinsault
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