La carte a quelque chose de fascinant dans son aspect et dans ce qu’elle raconte.
Son esthétique très codée fait qu’on la reconnait au premier coup d’œil et qu’on peut ainsi la classer immédiatement:
carte géographique, carte météo, carte historique, routière…
En fait, dès le début, la carte est un acte de pouvoir.
C’est la volonté de faire entrer la Nature et tout ce qui s’y trouve ( y compris donc les Autres) dans son périmètre d’influence, dans son territoire.
Je trace symboliquement un trait pour signifier une limite, d’abord dans le sable, puis sur papier, enfin par image satellite.
Ainsi, La carte n’est pas « réaliste ». Elle décrit une situation plus fantasmée que réelle. On a parlé à une certaine époque de « Géographie Enchantée ».
C’est-à-dire d’une géographie qui dit du monde non ce qu’il serait, mais comment on le vit.
Je pourrais à mon tour parler de géographie désenchantée.
Dans ce travail j’ai essayé de cartographier le Monde suivant les émotions, les perceptions que j’en ai.
J’ai détourné cet instrument savant, cet outil de pouvoir en espace irréel et personnel. Volontairement irréel et perçu comme tel.
Les cartes que je montre sont illisibles, incompréhensibles comme telles et même la façon de les appréhender (la stéréoscopie) les éloigne un peu plus
de la « réalité objective », si cela a encore un sens.
Ces cartes, je les ai déchirées, transformées en lambeaux, parfois même brûlées pour ensuite les rassembler
dans une géographie autre, qui n’a de sens que dans ce qu’elle peut évoquer. À la place des noms de lieux, j’ai donné des mots qui éclairent mon propos
et je me suis alors livré à un questionnement qui, je le crois, concerne chacun d’entre nous, individuellement mais aussi collectivement : le monde global,
la possession, la violence, le désir, la mort, l’Infini, le quotidien. Le sujet n’est pas clos, la liste est ouverte…
Évidemment, la vision que j’ai du Monde
n’est pas un doux rêve. Le désenchantement est sans doute à la hauteur des promesses. Mais les promesses n’engageraient que celui qui les reçoit, ai-je entendu dire.
Quel cynisme !
Je crois cependant que la poésie, quelle que soit la forme qu’elle revêt (texte, image, …) est en soi, structurellement devrais-je dire, un signe de vie.
Plus que le renoncement à la réalité, elle porte le rêve, c’est-à-dire le refus de la soumission au monde extérieur.
Mes images ne sont pas des coquilles où on pourrait trouver refuge, une sorte d’espace exigu ; Au contraire, elles en repoussent les limites en s’affranchissant
des contraintes immédiates.
J’aurais pu réaliser des photos alarmistes jouant sur l’esthétique du malheur. Je préfère les miennes.
Elles ne délivrent pas de messages impérieux ni de morale dégoulinante. Elles sont cependant des cris, étouffés, intériorisés ou exprimés clairement
mais que l’on peut entendre (ou non d’ailleurs) suivant sa propre émotion. Ce n’est pourtant pas un travail sur moi-même et mon rapport aux autres.
Je le conçois plutôt comme un dialogue.